La région de Cortaillod a été habitée dès la préhistoire et les pilotis de chêne apparus près du Petit-Cortaillod, à l'ouest de la plage, lors de l'abaissement du niveau du lac provoqué par la première correction des eaux du Jura (1869-1888) sont les témoins des habitations des hommes du Néolithique et de l'Age du bronze.
La seconde découverte archéologique est celle d'un cimetière antique à la Rondenière, cette colline située à l'est du village, au milieu des vignes. On y a trouvé des tombes murées, renfermant des squelettes, des lames de sabres, des boucles de ceinturons et autres objets qui permettent d'attribuer à ce cimetière une origine burgonde.
Mais le village actuel de Cortaillod (du bas latin "Curtile" ou "Cortillum" : petit jardin attenant à une ferme, devenant le nom de la ferme, puis probablement celui du village) est une colonie de Boudry. Aussi loin qu'il est possible de remonter le cours des âges (la première mention d'un habitant de Cortaillod date de 1280), ce village, ancienne colonge dans le vrai sens du terme, a été fondé par les habitants de Boudry qui, se sentant à l'étroit dans les limites de l'ancien Burgum, émigrèrent vers le sud pour s'installer sur les hauteurs de la colline dominant le lac. A ceux-ci se joignirent par la suite un certain nombre de familles de Bevaix.
Au Moyen-Age, Cortaillod relevait de deux ou même trois seigneuries : de Gorgier, possession des d'Estavayer, du prieuré de Bevaix (fondé en 988) et du comte de Neuchâtel, suzerain de Boudry et de Pontareuse. De là, bien des difficultés pour les communiers de Cortaillod d'accomplir leurs dévotions, et plus d'un conflit. En 1503, les habitants du village obtinrent de l'évêque de Lausanne, Aimon de Montfaucon, l'autorisation de construire une chapelle, dédiée à Saint Nicolas, patron des pêcheurs, chapelle consacrée par l'évêque en 1505. Mais ce n'est qu'en 1537, après la Réforme, que la paroisse fut définitivement constituée et rendue indépendante.
Du XVIe au XVIIIe
Au XVIe siècle, sous la domination des 12 cantons qui avaient fait un bailliage commun de l'ancien comté de Neuchâtel (1512-1529), la Commune de Cortaillod obtint l'abolition de la commandise ainsi que la permission de construire un moulin sur le Vivier. En 1570, la première école de Cortaillod fut créée. Au XVIIe siècle, en 1602, une scierie fut établie à côté des moulins et en 1611, la tour de l'église fut érigée. En 1722, le Temple fut agrandi d'après les plans du ministre Favarger. L'édifice fut enfin complètement restauré par l'architecte Henri Chable en 1900.
C'est au XVIIIe siècle que Claude Abram DuPasquier et Jacques-Louis Pourtalès fondèrent et développèrent sur le territoire de la Commune de Cortaillod, dans le quartier de la Fabrique, l'industrie des toiles peintes: les indiennes. Cette technique connut un succès considérable et la renommée de l'indiennage neuchâtelois s'étendit à toute l'Europe. Pendant presque toute la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Fabrique-Neuve de Cortaillod fut l'une des premières entreprises de sa branche. A la fin du siècle, sa production atteignit 45 000 pièces et elle employait alors plus de 700 ouvriers. A la fabrique d'indiennes, dont le blocus continental instauré par Napoléon ainsi que la loi prohibitrice de l'entrée des toiles imprimées dans l'Empire français accélèrent la décadence, succéda en 1855 une fabrique d'horlogerie qui eut son heure de prospérité, mais qui disparut à son tour en 1885.
Dès 1879, une partie des bâtiments de la Fabrique-Neuve était déjà occupée par une fabrique de câbles électriques (Société d'exploitation des câbles électriques, système Berthoud-Borel), qui devint rapidement la principale industrie de la Commune et dont les produits exportés font connaître le nom de Cortaillod dans de nombreux pays du monde.
Avant de développer sur une partie de son territoire de l'industrie, la Commune de Cortaillod a été une commune agricole (paysans-pêcheurs, vignerons-pêcheurs) et aujourd'hui encore, par l'importance de son vignoble et l'excellence de ses vins, elle est célèbre à la ronde. Ses rouges entre autres, classés parmi les tout grands vins de Suisse, ont du corps et un bouquet très fin, ils sont francs de goût, leur robe est claire, d'un rubis transparent et ils se conservent bien. On les connaît sous le nom de «Vin du diable». L'histoire nous apprend en effet qu'en 1806 le général Oudinot dîna avec son état-major chez le colonel Vouga. On mangea beaucoup et on but davantage encore en l'honneur de la France et de son empereur. Au moment du départ, un officier voulant monter en selle passa outre et tomba sur le sol. En se relevant, il aurait dit : «C'est un vin du Diable, ce vin du colonel.» Le mot fut retenu, appliqué au cru et resta légendaire. Mais si le rouge de Cortaillod est particulièrement réputé, son blanc, son Oeil-de-Perdrix et ses spécialités n'en sont pas moins fameux et recherchés.
En 1831 déjà, les habitants de Cortaillod (appelés «Carcoies», sobriquet dû à l'abondance autrefois de hannetons dans le village) choisirent sans hésiter le parti d'Alphonse Bourquin et des Républicains et ils connurent alors la répression brutale des troupes royalistes. Lors de la Révolution du 1er mars 1848, quelques citoyens de Cortaillod, mais avec l'appui moral de la majorité de la population, envoyèrent aussitôt une déclaration d'adhésion au gouvernement provisoire de Neuchâtel. Lors des événements de 1856, la Commune de Cortaillod fournit à elle seule un contingent de 136 hommes pour défendre la cause républicaine. Chaque année encore, la veille de 1er mars, la population de Cortaillod célèbre l'anniversaire de la Révolution de 1848.
Longtemps, la Commune ne disposa que de trois puits publics munis de pompes et d'abris, près du Temple, à la rue des Courtils et à la rue des Coteaux. En 1747, un fontainier amena l'eau d'une source pour deux bassins placés au village et c'est de 1900 que date l'installation de l'eau sous pression. La lumière électrique a été installée dès 1908. En 1750, la Mairie de Cortaillod comptait 521 habitants; en 1900, 1304 personnes étaient recensées et la population augmenta peu à peu pour atteindre le nombre de 1700 en 1962, A partir de cette date, le village connut les effets du «boom» économique et de nombreux terrains agricoles et viticoles changèrent d'affectation pour passer en zone de terrains à bâtir. La courbe de la population se modifia rapidement et, à fin 1998, près de 4350 habitants peuplent le village. En 1797, le chroniqueur des Etrennes historiques écrivait: «L'on observe avec un certain intérêt qu'il reste dans Cortaillod des vestiges de bonté et de simplicité, plus sensibles que dans aucun autre lieu du pays. A l'ombre de la foi publique, l'on s'y est longtemps exempté des soins et des attentions domestiques dont on se fatigue autre part: l'usage par exemple, de tenir serrés sous la clef les denrées, les ustensiles de ménage, les outils de labourage, etc., n'y était guère connu que par ouï-dire; et il n'y a pas trente ans que de voisin à voisin, on n'y avait rien de fermé chez soi; le vin et les vases, les provisions de bouche et les buffets, le bétail et les granges, tout était ouvert, tout était soit pour l'emplette, soit pour le débit, soit pour le service ordinaire, à la disposition réciproque du voisin le plus à la portée d'en prendre soin.»
Aujourd'hui, toutes les portes ont des serrures, mais qui sait, la mentalité du XVIIIe siècle n'a peut-être pas changé? Car depuis toujours à Cortaillod, comme le dit le refrain: «... Si heureuse est la vie, que chacun nous l'envie, et j'aurais tout perdu, si pour m'en exiler, il fallait le quitter.»
Texte de Alain Jeanneret